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Gilles Lehoux

Un vol de cheval qui coûte cher

Dernière mise à jour : 14 déc. 2023

Voici l'histoire d'un vol de cheval qui coûta huit ans de bagne à son auteur.

En 1868, un article paru dans les journaux de Seine-et-Oise (ancien département qui regroupait plusieurs départements actuels de l'Ile-de-France) relatait la condamnation de François Henri Peigné suite au vol d'un cheval à Saint-Michel-sur-Orge.


AD78 - extrait du Journal de Versailles du 12-07-1868
AD78 - extrait du Journal de Versailles du 12-07-1868

Le vol de Charlot

Jean Jacques Blavet, âgé de soixante-deux ans, est un est ancien vigneron qui habite à Saint-Michel-sur-Orge. Il est veuf depuis un an et demi, et vit seul dans une maison rue d’Arpajon.

Vers huit heures du soir, le vendredi 1er novembre 1867, Jean Jacques Blavet va nourrir son cheval dans son écurie, comme il le fait tous les matins et soirs. C’est un vieux cheval hongre blanc moucheté, âgé de douze à treize ans, du nom de Charlot. L’écurie est séparée de son habitation et fait partie d’un ensemble de bâtiments occupés par quatre ménages qui sont locataires. Il referme la porte à clef avant de partir. Le lendemain matin, vers quatre heures et demie, en allant le nourrir comme à son habitude, il constate que la porte de l ’écurie a été fracturée, et que le cheval n’y est plus, de même qu’une bride et une paire de guides qui n’y sont plus.


cheval blanc moucheté

Jean Jacques Blavet va immédiatement prévenir son fils Henri-Jacques, qui habite dans une rue voisine. Le fils va signaler le délit au garde-champêtre de Saint-Michel-sur-Orge, avant de se rendre au marché à Paris. Ce dernier va immédiatement en informer la gendarmerie impériale à Linas distante de cinq kilomètres. Les gendarmes viennent constater les faits et enquêter en interrogeant les voisins.

La même nuit, à quatre cent mètres de là, la porte de la cour de Léon Loreau, a été escaladée et le coutre de sa charrue a été dérobé. Les traces laissées sur la porte de l’écurie et le mur lors de l’effraction laissent à penser que le voleur a utilisé cet instrument pour forcer la porte. Le coutre a été utilisé comme un pied de biche. Il y eu également une tentative d’effraction faite sur la porte de l’étable de Firmin Godmet, clairement faite à l’aide d’un coutre de charrue. Le coutre de charrue de Léon Loreau n’ayant pas été retrouvé, il n’est pas possible d’affirmer si les effractions ont été faites avec ce dernier.

Les gendarmes mènent l’enquête dans les communes voisines, et particulièrement dans les auberges, pour tenter d’obtenir des informations. Le cheval est recherché dans les environs, mais sans succès. Le ou les auteurs du vol restent non identifiés.

Source : AD78 - 2U532 - Procès Verbal de la Gendarmerie Impériale - affaire Peigné


Arrestation du voleur

Près de quatre mois plus tard, un heureux hasard se produit. Le samedi 21 mars 1868, Henri-Jacques Blavet, fils de Jean Jacques Blavet, se trouve à Paris près de l’ancienne barrière de Fontainebleau.


Barrière de Fontainebleau
Barrière de Fontainebleau

La « barrière de Fontainebleau » prenait son nom parce que la route qui sortait de Paris par cet axe menait à Fontainebleau. Elle était installée sur l’emplacement de l’actuelle place d’Italie.


Il reconnait le cheval de son père attelé à un tombereau, et alerte immédiatement un sergent de ville. Le cheval est alors mis en fourrière. L’individu qui avait en sa possession le cheval est un nommé Pierre Duperry, voiturier à Maison-Alfort. Henri Jacques l’interroge sur la provenance du cheval, et ce dernier lui dit qu’il l’a acheté le 2 novembre 1867 à un individu qui l’avait accosté. Ce dernier cherchait un nommé Heuzé, marchand de chiffons, son voisin, pour lui vendre le cheval. Or, le dénommé Heuzé avait quitté la ville récemment. Il a alors proposé à Duperry de lui vendre pour quatre-vingt francs. Duperry refusa l’offre mais finit par accepter pour la somme de cinquante francs. Après la conclusion du marché, ils déjeunèrent ensemble chez Duperry, en compagnie d’un manouvrier nommé Auguste Perrier, voisin de Duperry. Le vendeur leur a dit se nommer Peigné et demeurer à Villeneuve-le-Roi.

Averti par son fils, Jean Jacques Blavet se rend à la fourrière dès le lendemain et reconnaît effectivement son cheval. Il tient beaucoup à son cheval, et décide alors de le racheter à Duperry pour la somme de cinquante francs. Charlot était vieux et était utilisé à faire des travaux au-dessus de ses forces.

Duperry et Perrier donnent le signalement de Peigné à la police, qui ne trouva personne du nom de Peigné à Villeneuve-le-Roi. Cependant, la description donnée correspondait à un individu nommé François Henri Peigné, malfaiteur récidiviste, déjà arrêté et condamné pour des faits similaires. Ce dernier est actuellement emprisonné à la maison centrale de Poissy pour cinq ans, suite à une condamnation prononcée par le tribunal de Rambouillet le jeudi 30 janvier 1868. Après confrontation, les sieurs Duperry et Perrier reconnurent Peigné comme étant l’individu qui avait vendu le cheval et avec qui ils avaient déjeuné le samedi 2 novembre 1867, chez Duperry.

Interrogé, Peigné nie en prétextant qu’il travaillait dans une ferme près de Meaux à l’époque du vol, mais il fût incapable de dire dans quelle ferme, ni donner le nom du fermier.


AD78 - Tribunal de Rambouillet - casier judiciaire de François Henri Peigné (extrait)
AD78 - Tribunal de Rambouillet - casier judiciaire de François Henri Peigné (extrait)

En 1838, à l’âge de vingt-quatre ans, il est condamné à six mois de prison pour rébellion envers la force armée.

En 1848, à trente-quatre ans, il est condamné à cinquante francs d’amende pour chasse sans permis, une journée de prison pour outrage à fonctionnaire et seize francs d’amende pour outrage à agent.

En 1850, à trente-six ans, il est condamné à six jours de prison et cinquante francs d’amende pour chasse sans permis.

En 1856, à quarante-deux ans, il est condamné à deux mois de prison pour escroquerie.

En 1858, à quarante-quatre ans, il est condamné à trois ans de prison et cinq ans de surveillance pour vols.

Source : AD78 - 2Y196 - Poissy - Registre d'écrou 1866-1869 - vue 103/299


Procès

Le lundi 24 avril 1868, François Henri Peigné Peigné comparaît devant le tribunal de première instance de Corbeil pour y subir un premier interrogatoire, lors duquel il nie tous les faits qui lui sont reprochés. 

Le lundi 18 mai 1868, il est transféré de la maison d’arrêt de Poissy à celle de Corbeil. 

Le lundi 25 mai 1868, François Henri Peigné Peigné comparaît devant le tribunal de première instance de Corbeil pour y subir un deuxième interrogatoire, lors duquel il persiste à nier les faits. 

Le lundi 8 juin 1868, François Henri Peigné comparaît devant le tribunal de première instance de Corbeil pour y subir un troisième et dernier interrogatoire, lors duquel il continue de nier les faits.

Plusieurs témoins ont été convoqués pour faire leur déposition :

  • Léon Loreau, cultivateur à Saint-Michel-sur-Orge, confirme le vol du coutre de sa charrue, dans la nuit du premier au deux novembre.

  • Firmin Godmet, cultivateur à Saint-Michel-sur-Orge, confirme la tentative d’effraction à l’aide d’un coutre de charrue, la même nuit.

  • Louis Etienne Pougniet, marchand de vins à Alfort, chez qui Peigné, Duperry et Perrier sont aller prendre le café après avoir déjeuné ensemble est également convoqué pour faire sa déposition. Il ne peut les reconnaître, car il voit beaucoup de monde fréquenter son établissement.

  • Auguste Perrier dépose également et reconnaît parfaitement Peigné comme celui qui a vendu le cheval blanc moucheté à Pierre Duperry, et avec lequel ils ont déjeuné après la conclusion du marché.

  • Jean François Durand, marchand de pommes de terre à Alfort, qui a assisté à la vente du cheval dans la cour de Duperry, ne peut affirmer reconnaître Peigné.

 

Le vendredi 26 juin 1868, François Henri Peigné est mis en accusation pour vol qualifié et en envoyé aux assises.

Le procès se déroule à la cour d’assises de Seine-et-Oise à Versailles, à l’audience du vendredi 3 juillet 1868.

Le président lit la déposition écrite de deux témoins, Jean François Durand, marchand de pommes de terre et Louis Etienne Pougniet, marchand de vins, demeurant tous deux à Alfort, le premier pour avoir assisté à la transaction chez Duperry et le second pour avoir servi un café à Peigné, Duperry et Perrier le jour de la tractation.

François Henri Peigné est accusé d’avoir soustrait frauduleusement un cheval, une bride et des guides, au préjudice de Mr Jean Jacques Blavet avec circonstances aggravantes :

  • la nuit, dans une maison habitée,

  • à l’aide d’effraction dans un édifice.

Compte tenu des antécédents de Peigné, déjà condamné dix fois pour divers délits, lui ayant valu au total neuf années de prison, il est déclaré coupable et condamné à huit ans de travaux forcés.

François Henri Peigné demande un pourvoi en cassation le dimanche 5 juillet qui est rejeté le jeudi 6 août.

Source : AD78 - 2U 532 - Tribunal d'assises de Versailles - audiences du 29 avril 1868 au 4 juillet 1868


François Henri Peigné était détenu à la maison d’arrêt de Corbeil au moment du procès. La mise en application de sa peine, huit ans de travaux forcés, est prononcée le jeudi 6 août 1868. Il est transféré au bagne de Toulon où il arrive le mardi 15 septembre 1868.


Bagne de Toulon
Bagne de Toulon

Le bagne de Toulon fut un établissement pénitentiaire, aujourd’hui disparu, situé à Toulon (Var). Pouvant loger plus de 4 000 forçats, il fut le bagne le plus grand, et aussi le plus longtemps ouvert, de 1748 à 1873, cessant d'exister avec la création des bagnes de Cayenne et de Nouvelle-Calédonie.


Par ordre du préfet maritime en date du samedi 15 janvier 1870, il est détaché de la chaîne de forçats le jeudi 20 janvier et embarque pour la Nouvelle Calédonie le lundi 25 avril 1870 sur la frégate « La Sybille ».


Frégate "La Sybille"
Frégate "La Sybille"

La Sibylle est sortie des chantiers navals de Toulon, avec un armement de 4 canons de 4cm sur les gaillards en version transport. Ses dimensions étaient de 52m50 par 13m40 par 7m05, avec une voilure de 1849 m². Sur cale en septembre 1829, elle est lancée le 7 novembre 1847. Attachée au port de Toulon, elle sera mise en service en mars ou avril 1851, et sera rayée le 13 mai 1881. Elle effectuera plusieurs voyages vers les colonies avec à son bord des forçats destinés au bagne.

 

Il arrive au bagne de Nouvelle-Calédonie le jeudi 1er septembre 1870.

Il décèdera sur l’île Nou le jeudi 13 janvier 1876, d’un anévrisme


Bagne pénitentiaire de l'île Nou - 1868
Bagne pénitentiaire de l'île Nou - 1868

Source : ANOM - H2455 - matricule 2578 - dossier individuel de bagne François Henri Peigné

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5 Comments

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Olivier Foulont
Olivier Foulont
Jan 02

Etre condamné au bagne de Nouvelle Calédonie c'était comme une condamnation à mort. Le taux de mortalité y était très élevé et 40% mouraient dans leur première année :(

Bravo pour cet article !

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Gilles Lehoux
Jan 08
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Merci Olivier, il a quand même tenu six ans, il lui restait 2 ans à faire.

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Guest
Dec 21, 2023

Plus il avance dans le temps, et plus les bêtises sont grosses, et les condamnations sévères, pour François Henri Peigné. Bel article très bien documenté, avec des informations issues de diverses sources!

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Noëline Visse
Noëline Visse
Dec 14, 2023

Ce vol de cheval a été celui de trop pour François Henri qui a un casier bien rempli !

Bel article bien renseigné 🙂

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Gilles Lehoux
Jan 08
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Merci Noëlise,

C'est effectivement le délit de trop qui l'a envoyé au bagne, et cela par un extraodinaire coup du hasard (ou la justice divine) qui a amené le fils du propritaire à reconnaître le cheval en allant à Paris.

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